Préserver la nature avec Bitcoin ? Exemple du parc national des Virunga au Congo.

12 février 2024
Photo de moi dans la nature

Et si l’approche pour démocratiser les cryptomonnaies n’était pas la bonne ? 

Déjà 7 mois que j’ai découvert les cryptos. Et 7 mois que je consomme le contenu de personnes passionnées qui proposent de vulgariser ce sujet. Pour vous donner une idée, j’ai : 

  • suivi 2 formations ;
  • lu une cinquantaine d’articles (et le whitepaper de Bitcoin) ;
  • écouté une dizaine de podcasts ;
  • regardé une trentaine de vidéos sur YouTube ;
  • discuté avec des journalistes, des entrepreneurs, des influenceurs, etc.

J’ai beaucoup appris : l’origine du Bitcoin, le fonctionnement d’une blockchain, les technologies cryptographiques, etc. Et c’était passionnant. 

Sauf qu’après 7 mois, je constate que je connais principalement des aspects techniques du domaine. Parce que la plupart des contenus vulgarisés s’orientent sur les questions technologiques des cryptos. 

Et quand on me demande : à quoi servent les cryptomonnaies dans notre société en dehors de l’investissement ? 

Ma réponse est souvent bancale.

Pourtant, c’est le genre de question qu’on me pose le plus souvent. 

Quel est l’usage des cryptos dans les autres secteurs ? Est-ce qu’elles peuvent endosser un autre rôle que celui de la spéculation ? En quoi ça peut être utile pour la société ? Les cryptos peuvent-elles servir pour des projets écologiques ?  

À force de parler essentiellement des technologies et d’investissement, on s’adresse toujours aux mêmes personnes. Ce qui maintient le secteur des cryptomonnaies sous un plafond de verre.

Pour démocratiser ce secteur, je pense qu’il faut aussi mettre en avant des cas d’usage où les cryptomonnaies répondent à des besoins concrets. Et finalement, la blockchain, les NFT et les tokens seront adoptés sans même que les gens ne se rendent compte des technologies qu’ils utilisent. 

Alors, tentons de décrypter les cryptos sous un nouvel angle. 

Je t’emmène à la découverte de la deuxième plus grande forêt tropicale du monde et de sa relation essentielle avec Bitcoin. J’ai même eu la chance de discuter avec Sébastien Gouspillou, fondateur et CEO de BBGS, l’une des personnes à l’initiative de ce projet étonnant.

Bienvenue au parc national des Virunga.

Quelle est l’histoire du parc national des Virunga ?

Une biodiversité exceptionnellement riche

Créé en 1927, le parc national des Virunga se situe dans l’est de la République Démocratique du Congo, pays d’Afrique centrale. Avec une superficie de 790 000 ha, le site côtoie les frontières du Rwanda et de l’Ouganda. Il est reconnu internationalement comme le premier parc national africain, avec la diversité biologique la plus riche. 

Les paysages y sont spectaculaires. Des champs de glace des monts Rwenzori aux volcans actifs des Virunga, en passant par les forêts tropicales humides, les plaines de Rwindi et le lac Édouart. Cette diversité des écosystèmes produit une faune et une flore exceptionnelles : 

  • 706 espèces d’oiseaux ; 
  • 109 de reptiles ; 
  • 218 de mammifères ;
  • 78 d’amphibiens ;
  • et plus de 2 000 espèces de plantes. 

Si exceptionnelles, qu’en 1979, le parc rejoint le classement du patrimoine mondial de l’UNESCO. En même temps, il abrite plus de la moitié des animaux terrestres d’Afrique. Notamment, la plus grande concentration d’hippopotames, des éléphants, des buffles, des gorilles des montagnes, etc. 

Comme d’autres animaux, cette sous-espèce de gorille est menacée d’extinction. À l’origine, le parc avait justement été créé et aménagé pour assurer sa protection. Environ un tiers de ces primates vit dans les forêts tropicales et les pentes des montagnes des Virunga. 

Quand la promesse des ressources devient une malédiction

Les efforts de conservation du parc s'organisent autour d’un contexte de violence extrême. En 1994, le génocide rwandais provoque la fuite de près de 2 millions de réfugiés hors du pays. Plus de 90 % d’entre eux trouvent refuge aux abords des frontières du parc.

L’augmentation rapide de la population entraîne des dégâts environnementaux colossaux. C’est ainsi qu’à la fin de cette même année, le parc rejoint la liste des sites du patrimoine mondial en danger critique d’extinction.

Les années suivantes, les conflits régionaux s’enchaînent. 

De 1996 à 1997, 5,6 millions de congolais meurent dans les affrontements. Une deuxième guerre éclate entre 1998 et 2002. Depuis 2004, des combats armés se succèdent dans l’est du pays rendant le parc des Virunga très insécurisé.

Quelle est l’origine de ces conflits ? 

Ils prennent forme dans une course effrénée des ressources naturelles du pays. Des réserves exceptionnelles en or, cuivre, diamants, cobalt, pétrole, gaz, caoutchouc et en bois se trouvent en République Démocratique du Congo. En particulier, à l’est du pays, dans la province de Nord-Kivu. 

Par exemple, le RDC possède 70 % des réserves mondiales en cobalt, un minerai indispensable à la fabrication de nos téléphones portables. L’incroyable biodiversité devient la convoitise de tous. C’est la malédiction des ressources…

Or noir, braconnage et corruption.

D’abord, les groupes armés en lutte contre le gouvernement congolais pratiquent diverses activités illégales. Parmi eux, le M23 et divers groupes maï-maï. Et ils sont nombreux. Pour se financer, ils ont recours à : 

  • la chasse de la viande de brousse ;
  • la pêche dans des zones protégées ; 
  • l’exploitation forestière pour la production de charbon de bois (or noir) ;
  • le racket des populations ;
  • le vol des cultures ;
  • le braconnage des espèces menacées. 

Prenons l’exemple des hippopotames. En 2006, près de 400 sont massacrés par des milices locales. Ces hommes armés sont suspectés de commercialiser leur viande et l’ivoire des dents. D’après le site officiel du parc, 98 % des hippopotames ont disparu à cause du braconnage, depuis les années 1960-1970. 

Dans le documentaire Virunga, on découvre que les conflits armés sont aussi alimentés par la SOCO. Cette société britannique exploite le pétrole disponible dans le parc. Pour continuer de mener à bien leurs activités, elle verse un pourcentage au groupement armé du M23. 

La compagnie pétrolière a également tenté d’acheter les agents forestiers des Virunga. Leur pratique a largement été dénoncée par Emmanuel De Merode, le directeur du parc, et son équipe. Son combat contre la corruption le fait tomber dans une embuscade, en avril 2014. 

À bord de son véhicule, il aperçoit les hommes armés et tente d’accélérer. Une première balle traverse sa voiture et lui rentre dans la hanche, remonte dans son corps, puis ressort au niveau l’épaule. 

Emmanuel ouvre sa portière et court dans la forêt. 

Une deuxième balle le touche dans le dos.

Il se couche sur le sol et tire avec son arme. 

Les hommes prennent la fuite.

5 côtes cassées, l’estomac déchiré, le foie et le poumon perforés, Emmanuel sort de la forêt en rampant et met 6 h à rejoindre l’hôpital de Goma. Il se fait opérer par 2 chirurgiens qui ne se comprennent pas. L’un parle anglais, l’autre français.

Le directeur du parc devient le traducteur de sa propre opération. Mais il survit à l’embuscade. Après seulement 2 mois de convalescence, il revient poursuivre son combat : protéger le parc national des Virunga.

« C’est vraiment un super héros moderne. Moi je le vois comme ça. » me confie Sébastien Gouspillou, fondateur et directeur de BBGS. 

Si l’argent n’a pas d’odeur, le pétrole est là pour le contredire

En plus de contribuer au financement de la guerre, les compagnies pétrolières et gazières menacent les écosystèmes fragiles du parc avec leurs exploitations. Les conséquences sur la biodiversité du lac Albert inquiètent particulièrement. 

Ce joyau aquatique abrite une 40aine d’espèces de poissons menacées par l’exploration pétrolière. Le patrimoine du parc national est en péril. Pourtant, l'État congolais continue de mettre aux enchères des droits d’exploitation pour remplir des barils. En 2022, il propose 3 blocs gaziers et 27 blocs pétroliers.

Les populations locales craignent également pour leurs activités de pêche. Leur seul moyen de subsistance. Les habitants ont déjà fait l’expérience de l’exploitation des ressources minières et n’en veulent plus : « ça n’a rien apporté sur le plan économique, juste de la pollution et plus d’insécurité ». 

La pêche, c’est la vie de la communauté. 

Survivre au milieu de l’abondance

Alors que l’est de la RDC possède une grande partie des richesses du monde, 90 % de sa population vit sous le seuil extrême de pauvreté. C’est-à-dire avec moins de 1,90 dollar par jour. Bonjour le paradoxe. 

Cette précarité est également un facteur déterminant de la quête de ressources naturelles. Déjà, près de 80 000 personnes vivent à l’intérieur du parc. Leur famille était installée sur le site, avant sa création en 1925. Et après, les conflits régionaux ont entraîné la fuite de millions de congolais et congolaises. 

Aujourd’hui, 5 millions se sont réfugiés aux alentours et à l’intérieur du parc. Ces personnes se retrouvent à couper du bois pour préparer à manger, stériliser l’eau à boire ou vendre du charbon de bois. Et souvent au péril de leur vie.

Elles ont aussi besoin d’accéder à des terres pour cultiver, qui sont désormais réservées aux animaux. Certains habitants décident donc de rejoindre les groupes armés maï-maï, faute de meilleures options pour survivre.

« J’ai vu des ONG venir sensibiliser les déplacés à ne pas couper les arbres. Mais c’est en fait fou, ce sont des gens qui ont juste besoin de manger ». 

Le directeur du parc trouve parfaitement injuste de faire reposer tous les efforts de conservation à une population aussi pauvre. 

D’autant plus que le peuple congolais est loin de bénéficier des richesses de son pays. Plutôt que de seulement interdire aux populations l’accès aux ressources, Emmanuel De Merode propose de leur trouver des alternatives. 

Comment assurer une gestion durable du parc dans un contexte de précarité et de guerre ?

La protection et la conservation de cette aire protégée relèvent des compétences de l’ICCN (Institut Congolais pour la Conservation de la Nature). En 2008, il s’associe à la Fondation Virunga pour gérer durablement le parc national. 

Et en 2013, leur partenariat lance l’Alliance Virunga. C’est un programme de développement reposant sur 3 objectifs interdépendants : la conservation de la biodiversité, la réduction de la pauvreté et la contribution à la paix.

Protéger le parc au péril de sa vie

Sur le terrain, presque 800 rangers assurent la protection du parc et le soutien des communautés locales. Ils se chargent de faire respecter la loi sur le site. Ces gardes risquent quotidiennement leur vie pour protéger le parc. 

Plus de 200 d’entre eux ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions.

Que font-ils ? Les rangers patrouillent à pied et utilisent des drones pour surveiller le territoire. Ces soldats de l’environnement repèrent les activités illégales, arrêtent les suspects et saisissent leurs cargaisons. 

Ils contribuent de façon non négligeable à la stabilité de la région. 

Accompagnés par des chercheurs, les agents du parc réalisent aussi un suivi des espèces protégées. Pour les habituer à la présence humaine, ils assurent un processus de familiarisation. Leur permettant de pousser leurs recherches sur les animaux et de faire intervenir des vétérinaires. 

Et depuis 2008, le parc abrite le centre Senkwekwe pour accueillir les gorilles orphelins, dont les parents ont été victimes de braconnage.

Ce sanctuaire porte le nom d’un dos argenté tué en même temps que 8 autres gorilles l’année précédente. Certains congolais ont vécu cette histoire comme la perte d’un membre de leur famille.

Le documentaire Virunga souligne ces relations touchantes entre des hommes et des gorilles des montagnes. En particulier, avec le témoignage d’André Bauma, le gardien de Senkwekwe qui considère ces gorilles comme sa famille. 

« J’ai ma famille humaine. Je leur ai toujours dit que vous vous êtes ma famille, mais nous avons aussi une autre famille à Rumangabo qui est composée de 4 enfants. Il y a Maisha, Kaboko, Ndeze et Ndakasi. (...) Je ne suis pas un père, mais une mère. » partage-t-il. 

La création d’emplois comme arme de guerre

Outre les missions de protection de la biodiversité, le parc s’engage aussi dans le développement économique de la région. Avec l’Alliance Virunga, le personnel du parc encadre des activités axées sur 4 domaines : l’hydroélectricité, le tourisme, l’agriculture et la pêche. 

« Le pari d’Emmanuel est de réussir à créer suffisamment d’emplois pour couper la ressource des maï-maï qui recrutent dans les villages. C’est 75 % de chômage pour les jeunes dans le Nord Kivu. Donc, il y a une ressource infinie pour les bandes armées. » m’explique Sébastien. 

En visant au développement économique de la région, ce programme crée des emplois, réduit le taux de pauvreté et favorise la paix.

Pour parvenir à cette révolution, 3 centrales hydroélectriques ont été installées à l’intérieur du parc depuis 2013. Gérées par Virunga Energies, elles se situent à Mutwanga, Matebe et Luviro. Une 4ème est en cours de construction.

Premier impact : réduire la pression exercée sur les forêts. L’électricité arrive dans les foyers congolais qui n’ont plus besoin de couper des arbres pour cuisiner ou se chauffer. Les habitats des animaux sont préservés. 

Deuxième impact : créer des emplois dans la région. Les usines hydroélectriques alimentent diverses activités locales : des savons artisanaux, des graines de chia de haute qualité ou encore du café raffiné. 

Dans un pays en développement, 1 MW doit amener environ 1000 emplois. Avec ces 3 usines, la capacité maximale en électricité est de 31,5 MW. L’ambition d’Emmanuel est de créer 110 MW, soit 110 000 emplois.

Du courant de la rivière à l’alimentation des villes

« Les centrales produisent de la lumière et du courant pour les entreprises, les hôpitaux et les communautés. Les usines, les ateliers et les petites entreprises se développent. Des alternatives pacifiques aux milices sont créées. Les gens ont des emplois stables, sont rémunérés et leurs enfants peuvent aller à l’école. »

Contrairement aux barrages, les usines hydroélectriques du parc impactent très faiblement l’environnement. L’énergie est créée par le débit constant des rivières. Les usines ne sont donc pas installées à côté de la demande, mais près d’une source d’eau en mouvement.

Généralement, la construction des centrales se fait dans des zones isolées. Virunga Energies doit donc tirer des réseaux jusque dans les villes pour fournir son électricité aux populations congolaises. 

Sauf que pour tirer des réseaux : il faut de l’argent.

En Afrique, après la construction d’une usine, les compagnies d'électricité doivent encore installer leur réseau de distribution. Une petite partie de l’énergie est donc distribuée, mais le reste est… perdu ! 

Que faire de ce surplus d’électricité ? C’est la question qu’Emmanuel s’est posée, alors que la 3ème usine hydroélectrique est en cours de construction à l’intérieur du parc national des Virunga. 

Mutwanga alimente l’usine de chocolat et les différentes manufactures de Virunga Origins. Matebe fournit 80 % de l’électricité de la ville de Goma, à l’est de la République Démocratique du Congo. Et Luviro distribuera les villes de l’autre côté des montagnes.

Pour le moment, le parc n’a pas de budget pour tirer les lignes électriques. 

En effet, leurs activités touristiques se sont interrompues, alors qu’elles couvraient 40 % des dépenses du parc. Ça a commencé par des enlèvements des groupes armés en 2018. Et ça a continué avec Ebola en 2019.

Miner des bitcoins pour sauver les gorilles 

Début de l’année 2020. 

La pandémie du covid maintient les activités touristiques du parc paralysées.

Nous sommes en France. 

« Ils ont une centrale toute neuve qu’on vient de leur construire. Elle va être inaugurée en septembre. Ils n’ont pas tiré la première ligne, donc ils vont avoir un énorme surplus d’énergie. » explique le constructeur français des usines hydroélectriques du parc à Sébastien Gouspillou, fondateur et CEO de BBGS.

L’entreprise BBGS connecte des machines pour miner des bitcoins à des capacités d’énergie supplémentaires renouvelables, dévalorisées, perdues et réutilisables. Ses activités se localisent principalement en Afrique et en Amérique du sud.

Leur proposition semble correspondre aux besoins du directeur du parc national des Virunga. Emmanuel fait le voyage en France pour rencontrer Sébastien. 

Le rendez-vous d’une heure se transforme en une conversation qui dure toute la journée. De Merode lui partage sa vision du développement et de protection du parc, son surplus d’électricité, son manque d’argent, etc. 

Fin de la journée. Les 2 hommes se mettent d’accord. Ils rédigent et signent un accord informel (gentlemen agreement) sur la table du restaurant.

Le projet commence comme ça.

L’un ne connaît rien aux cryptomonnaies. L’autre n’a jamais entendu parler du parc national des Virunga. Mais ensemble, ils vont créer une ferme de minage de bitcoins pour protéger les gorilles des montagnes. 

Comment une technologie de pointe peut participer aux efforts de conservation de l’environnement ?

À la rencontre d’une ferme de minage durable

Le CEO de BBGS arrive en septembre 2020 sur le site de Luviro, où est installée la ferme de minage. Les machines minent leurs premiers bitcoins en consommant le surplus d’électricité de la centrale. 

D’ailleurs, j’ai demandé à Sébastien : « comment présenter simplement l’activité de minage à une personne qui ne connaît rien aux cryptos ? »

Voici son explication lors d’un rendez-vous avec une compagnie d’électricité : « si je vous envoie 100 $ actuellement par la banque. Et bien, c’est la banque qui va valider cette transaction et qui va se porter garant. Si je vous envoie 100 $ en bitcoin, là tout de suite, il n’y a aucun intermédiaire. Ce sont nos ordinateurs de mining qui vont sécuriser cette transaction. »

Vous voulez savoir pourquoi cette technologie a été développée ? Comprendre comment est-ce qu’elle fonctionne ? Découvre mon article sur le minage des cryptomonnaies, avec l’exemple du réseau Bitcoin.

Miner des bitcoins est un processus très énergivore puisque les ordinateurs doivent fonctionner en continu. 

Bitcoin, une catastrophe écologique ? 

Pour Sébastien, c’est une énorme connerie. Il voit même le minage des bitcoins comme une opportunité pour le développement des énergies renouvelables. En fait, ça dépend des installations. Voici ces explications :

« on achète une électricité tellement bon marché que ça ne paye pas le consommable. Si tu es sur du non-renouvelable, ça veut dire qu’il faut acheter du charbon ou du gasoil. C’est impossible de miner durablement comme ça. Aujourd’hui, une ferme sur hydrocarbures, à l’exception du gaz, est obsolète. »

Revenons en République Démocratique du Congo. 

Dans le parc national des Virunga, l’impact écologique est minime. Déjà, le site fonctionne avec de l’énergie propre. Et c’est la seule industrie électro-intensive qui ne produit pas de déchets. Les ordinateurs créent juste de la chaleur. 

Et toute cette chaleur dégagée dans la jungle ? « l’électricité c’est de la chaleur. Elle se diffuse sur un point concentré. (...) si ces mégawatts sont distribués à la population, la chaleur va se répandre dans les câbles et les foyers. Tu auras la même création de chaleur, sauf qu’elle sera moins concentrée à un endroit. » explique Sébastien au patron de Virunga Energies. 

Pour aller encore plus loin dans leur démarche environnementale, l’air chaud des machines sera prochainement utilisé pour faire sécher du cacao, à Mutwanga. Avec la chaleur des machines, on évite l’achat d’un séchoir et l’utilisation d’un générateur qui consomme du gasoil. 

Sinon, BBGS récupère des ordinateurs de mining déjà obsolètes sur d’autres installations, mais qui restent performantes dans celle du parc. Et les techniciens de la ferme des Virunga sont formés pour réparer ces machines. 

Une fois mortes, elles sont stockées, puis seront envoyées dans une entreprise sud-africaine qui recycle les cartes électroniques proprement.

C’est le seul impact environnemental de la ferme de minage de Luviro. Avec cet exemple, BBGS touche du doigt son objectif ultime : produire des bitcoins avec une empreinte carbone nulle.

Sauver le parc avec les cryptomonnaies

Contrairement à la valeur spéculative des bitcoins, la ferme apporte des financements majoritairement stables. En fait, les ordinateurs de mining ont constamment besoin d’électricité. Du coup, BBGS paye actuellement, chaque mois, entre 60 000 et 70 000 $ d’électricité à la compagnie Virunga Energies.

À côté, le parc s’est équipé de 3 conteneurs avec des vieilles machines qui n’ont pas coûté cher. Mais, elles permettent toujours de miner des bitcoins. Ces installations consomment aussi le surplus d’énergie et apportent un revenu qui, lui, dépend de la valeur du réseau Bitcoin. 

Lorsque leurs machines de minage ont été installées dans le parc (fin 2020), 1 bitcoin était égal à 10 000 $. Quelques mois plus tard, il atteint les 60 000 $. La valeur de la cryptomonnaie se multiplie par 6.

L’équipe des Virunga récupère une somme d’argent gigantesque. 

Emmanuel appelle Sébastien, un samedi matin : « ton bitcoin, ton mining, ça a sauvé les finances du parc ». Alors que la pandémie continue de paralyser les activités économiques à l’intérieur du parc. 

Malgré les rebondissements dans le secteur des cryptos, investir sur le minage de bitcoins reste très intéressant pour le parc national des Virunga. Même si le réseau Bitcoin tombait à 1 % de sa valeur, la ferme serait toujours rentable. 

Convaincus des bénéfices de l’écosystème crypto pour leur combat écologique, Emmanuel et son équipe poursuivent l’adoption de ces technologies.

Récemment, le parc propose le paiement de ses produits Virunga Origins et accepte des dons en cryptomonnaie. Pas seulement en satoshis (division d’un bitcoin, comme le centime pour l’euro). Plus de 70 cryptos sont acceptées.

L’aide apportée au parc national par l’écosystème crypto ne s’arrête pas là ! Le 24 septembre 2021, CyberKongz (Babies) met aux enchères le NFT #Matabishi pour célébrer la journée mondiale du gorille. Le nom de ce NFT fait référence à un bébé gorille orphelin recueilli par le centre Senkwekwe, en 2013. 

1 million de dollars. C’est le montant reversé au parc par CyberKongz, avec la vente du NFT #Matabishi et un don de 50 ETH (une crypto).

Par-delà l’énergie des centrales

L’argent récupéré grâce aux cryptomonnaies n’est pas affecté à des activités de conservation spécifiques. Ces ressources offrent une flexibilité précieuse au parc, lui permettant d’allouer des fonds aux besoins les plus urgents. 

« On paye Virunga Energies tous les mois, après je ne sais pas ce qu’ils font de l’argent. (...) On n’a vraiment pas à décider de comment il redistribue l’argent (...) On sait que ce sera bien utilisé avec Emmanuel. » m’explique Sébastien. 

Aujourd’hui, l’activité de minage des bitcoins à l’intérieur du parc leur rapporte en moyenne 100 000 $ par mois. Et ces revenus leur permettent de tirer les réseaux pour distribuer prochainement l’électricité aux locaux.

BBGS emploie 15 salariés à temps plein pour assurer la gestion et la réparation de la ferme de minage dans le parc. Ils sont mieux rémunérés que les salaires moyens. En plus, ces emplois sont extrêmement qualifiés. Les techniciens sont formés à un niveau d’expertise exceptionnel. 

Aujourd’hui, ils peuvent proposer leurs services au Canada ou aux États-Unis, avec des compétences rares et une expérience unique. 

Par-delà le site de Luviro, l’installation de BBGS accélère le développement de l’économie locale. On revient à l’objectif de départ : amener l’électricité aux populations pour réduire la pression sur la forêt, créer des emplois et éviter le recrutement des habitants par les maï-maï.

Et lorsqu’une centrale hydroélectrique est installée, il peut se passer 5 à 10 ans avant qu’elle ne trouve sa clientèle. Construire l’infrastructure pour alimenter les villages environnants prend du temps.

En attendant, l’énergie déborde. 

Les besoins locaux VS la ferme de minage

Quand je demande à Sébastien « si l’activité de la ferme peut un jour entrer en compétition avec la demande locale en électricité ? », voici sa réponse : 

« J’ai écrit une petite charte pour le Salvador [pays important dans l’écosystème crypto, puisque c’est le premier à accepter Bitcoin comme monnaie légale], il y a 3 ans. (...) il est clairement dit que jamais le mining ne doit être en concurrence avec les besoins locaux, dont les besoins de la population et de l’industrie traditionnelle. Et c’est pour ça qu’on exige des prix aussi bas. »

Il ajoute : « Les prix bas nous permettent d’avoir de la rentabilité, mais nous disqualifient complètement. On ne peut pas devenir concurrent de la demande locale. (...) En Afrique, le kilowattheure est aux alentours de 25 cents, nous on l’achète 2 cents. »

Par exemple, Sébastien me dit que l’usine de Matebe alimente la ville de Goma et celle de Luviro essentiellement du mining. La ferme est beaucoup moins rentable pour Virunga Energies que Matebe. À noter que la puissance est la même dans les 2 centrales et les besoins locaux en électricité ne sont pas aussi réguliers que ceux de l’activité de minage. 

Sébastien complète : « on doit s’effacer aussitôt qu’ils ont une demande. Et c’est dans nos contrats. » Le projet est solidement pensé. 

Il reste la menace des maï-maï qui ralentit les installations. 

Avancer ensemble malgré la violence

« Pour aller planter des poteaux dans la jungle, ils [les électriciens] risquent leur vie à chaque fois. (...) Ils n’arrêtent pas de se faire couper les lignes par le M23 qui bombardent. Et quand ils vont pour réparer, ils se font encore agresser » m’informe Sébastien. 

L’été dernier, 3 rangers et le premier salarié de BBGS sont tués par des maï-maï. Ces derniers sont si jeunes que leurs kalachnikovs les dépassent. 

Les violences s’intensifient. 

Sébastien me raconte que fin 2020, les routes sont dangereuses, mais une fois arrivé sur le site de Luviro, les tensions s'apaisent. Aujourd’hui, l’insécurité est partout. Les maï-maï sont largement plus nombreux que les rangers. 

Octobre 2023. Le M23 occupe une nouvelle fois le secteur des gorilles des montagnes. En cette fin d’année, le parc des Virunga enregistre une hausse de leur population et le retour des éléphants. Mais, la recrudescence du braconnage en lien avec l’insécurité fait craindre une inversion des résultats. La présence des groupes armés ralentit la surveillance des animaux menacés. 

Malgré l’augmentation des violences, le directeur des opérations de BBGS vit la moitié du temps dans le parc. Sébastien et son équipe reviennent aussi régulièrement en RDC. Pourtant, l’équipe locale est autonome. 

Même s'ils ne sont pas obligés d’être sur place, venir est une manière de montrer qu’ils sont avec eux. « Tu sais comme ils disent en Afrique : on est ensemble. Et pour être ensemble, il faut être là » me dit Sébastien. 

Conclusion

Démocratiser les cryptomonnaies en ne parlant que des aspects techniques n’est pas la bonne méthode. Pour montrer le potentiel de cet écosystème, il faut aussi partager des usages concrets de ces nouvelles technologies.

La ferme installée dans le parc des Virunga est certainement le plus bel exemple que vous pourrez trouver sur l’activité de minage. C’est le premier parc national au monde à miner des bitcoins pour : 

  • protéger sa biodiversité exceptionnelle ;
  • créer des emplois afin de réduire la pauvreté ;
  • favoriser la paix en République Démocratique du Congo. 

En consommant le surplus d’électricité des centrales hydroélectriques, l’activité de minage apporte des revenus réguliers au parc. Des machines réparées sur le site, de l’énergie propre, des sources d’utilisation de la chaleur, tout est pensé pour limiter au maximum l’impact de l’installation sur l’environnement. 

La ferme ne sauve pas le parc des Virunga à elle seule. En amenant un peu de rentabilité immédiate et non-affectée, elle contribue à l’ensemble de ses activités en se basant sur les besoins urgents d’Emmanuel et des rangers.

L’aide apportée par BBGS est précieuse. Et même indispensable aujourd’hui. Le parc compte sur cette activité de minage en attendant que la demande locale en électricité ne vienne la remplacer.

Pour renforcer les activités du parc national des Virunga, il y a encore plein de solutions créatives à creuser… Les dernières réflexions concernent la réutilisation de la chaleur émise par les ordinateurs de mining. Que peut-on en faire ?

L’idée de faire sécher le cacao à Mutwanga pour augmenter la capacité de production du site est une première piste. Une autre serait la création d’une activité de séchage de fruits au niveau de la centrale de Luviro. 

Ce projet de cuir de fruits séchés, « c’est quelque chose qu’on peut reproduire dans pas mal de régions d’Afrique. Parce que le fruit, il y en a vraiment partout. C’est une ressource qui est énormément gaspillée. Et ça, ça crée beaucoup d’emplois. » conclue Sébastien.

Je partirais à la découverte de ces initiatives dans d’autres articles. Comme pour la ferme de minage installée dans le parc national des Virunga, mettons en avant les plus beaux cas d’usage de l’écosystème des cryptos. Et inspirons-nous d’eux. 

Et toi, c’est quoi le projet crypto qui te fascine le plus ? Je serais hyper contente d’en découvrir de nouveaux. 

Sources :